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prend est comique, ai-je ajouté. Qu’est-ce que c’est que comique ? a repris votre sœur. C’est du divertissant, ai-je dit. Vous plaisantez, Lisette. Je dis mon sentiment, madame. Il est vrai que ma sœur est aimable, mais d’autres le sont aussi. Je ne connais point ces autres-là, madame. Vous me choquez. Je n’y tâche point. Vous êtes une sotte. J’ai de la peine à le croire. Taisez-vous. Je me tais. Là-dessus elle est partie avec des appas révoltés, qui se promettent bien de l’emporter sur les vôtres ; qu’en dites-vous ?

Lucile.

Ce que j’en dis ? Que je vous ai mille obligations, que mon affront est complet, que ma sœur triomphe, que j’entends d’ici les airs qu’elle se donne, qu’elle va me croire attaquée de la plus basse jalousie du monde, et qu’on ne saurait être plus humiliée que je le suis.

Lisette.

Vous me surprenez ! N’avez-vous pas dit vous-même à Damis de paraître s’attacher à elle ?

Lucile.

Vous confondez grossièrement les idées et, dans un petit génie comme le vôtre, cela est à sa place. Damis, en feignant d’aimer ma sœur, me donnait une raison toute naturelle de dire : « Je n’épouse point un homme qui paraît en aimer une autre. » Mais refuser d’épouser un homme, ce n’est pas être jalouse de celle qu’il aime, entendez-vous ? Cela change d’espèce ; et c’est cette distinction-là qui vous passe ; c’est ce qui fait que je suis trahie, que je suis la victime de votre petit esprit, que ma sœur est devenue sotte, et que je ne sais plus