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tu la force de l’affliger jusque-là, de lui donner la mort, de lui porter le poignard dans le sein ?

Angélique.

J’aimerais mieux mourir moi-même.

Madame Argante.

Survivrait-elle à l’affront que tu te ferais ? Souffre à ton tour que mon amitié te parle pour elle. Lequel aimes-tu le mieux, ou de cette mère qui t’a inspiré mille vertus, ou d’un amant qui veut te les ôter toutes ?

Angélique.

Vous m’accablez. Dites-lui qu’elle ne craigne rien de sa fille ; dites-lui que rien ne m’est aussi cher qu’elle, et que je ne verrai plus Dorante, si elle me condamne à le perdre.

Madame Argante.

Eh ! que perdras-tu dans un inconnu qui n’a rien ?

Angélique.

Tout le bonheur de ma vie. Ayez la bonté de lui dire aussi que ce n’est point la quantité de biens qui rend heureuse, que j’en ai plus qu’il n’en faudrait avec Dorante, que je languirais avec un autre. Rapportez-lui ce que je vous dis là, et que je me soumets à ce qu’elle en décidera.

Madame Argante.

Si tu pouvais seulement passer quelque temps sans le voir ? Le veux-tu bien ? Tu ne me réponds pas ; à quoi songes-tu ?