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à me suivre, à me parler, tout destiné qu’il est à ma sœur, et comme il ne se corrige point, malgré tout ce que je lui ai pu dire, je suis charmée qu’on sache mes sentiments là-dessus ; et Lisette me sera témoin que je vous charge de lui rapporter ce que vous venez d’entendre et que je le prie nettement de me laisser en repos.

Frontin.

Non, madame, je ne saurais ; votre commission n’est pas faisable ; je ne rapporte jamais rien que de gracieux à mon maître ; et d’ailleurs il n’est pas possible que le plus galant homme de la terre ait pu vous ennuyer.

Lisette.

Le plus galant homme de la terre me paraît admirable à moi ! On lui destine tout ce qu’il y a de plus aimable dans le monde, et monsieur n’est pas content ; apparemment qu’il n’y voit goutte.

Phénice.

Qu’est-ce que cela veut dire, il n’y voit goutte ? Doucement, Lisette ; personne n’est plus aimable que ma sœur ; mais que je la vaille ou non, ce n’est pas à vous à en décider.

Lisette.

Je n’attaque personne, madame ; mais qu’un homme quitte ma maîtresse et fasse un autre choix, il n’y a pas à le marchander, c’est un homme sans goût ; ce sont de ces choses décidées, depuis qu’il y a des hommes. Oui, sans goût, et je n’aurais qu’un moment à vivre, qu’il faudrait que je l’employasse à me moquer de lui ; je ne pourrais pas m’en passer : sans goût.