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voir, et que je perdis de vue ; homme à peu près de votre taille, ni mieux ni plus mal fait ; de ces figures passables, peut-être un peu plus remplie, un peu moins fluette, un peu moins décharnée que la vôtre.

Ergaste.

Fort bien. Et de Dorante, que m’en direz-vous, madame ?

La Marquise.

Qu’il est plus doux, plus complaisant ; qu’il a la mine un peu plus distinguée, et qu’il pense plus modestement de lui que vous ; mais que vous plaisez davantage.

Ergaste.

J’ai tort aussi, très tort : mais ce qui me surprend, c’est qu’une figure aussi chétive que la mienne, qu’un homme aussi désagréable, aussi revêche, aussi sottement infatué de lui-même, ait pu gagner votre cœur.

La Marquise.

Est-ce que nos cœurs ont de la raison ? Il entre tant de caprices dans les inclinations !

Ergaste.

Il vous en a fallu un des plus déterminés pour pouvoir m’aimer avec de si terribles défauts, qui sont peut-être vrais, dont je vous suis obligé de m’avertir, mais que je ne savais guère.

La Marquise.

Eh ! savais-je, moi, que j’étais vaine, laide et mutine ? Vous me l’apprenez, et je vous rends instruction pour instruction.