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Lucile.

Enfin, je n’ai rien à dire, et vous êtes le maître ; mais je devais l’épouser. Il n’était venu que pour moi, tout le monde en est informé ; je ne l’épouse point, tout le monde en sera surpris. D’ailleurs, je pouvais quelque jour vouloir me marier moi-même, et me voilà forcée d’y renoncer.

M. Orgon.

D’y renoncer, dis-tu ? Qu’est-ce que c’est que cette idée-là ?

Lucile.

Oui, me voilà condamnée à n’y plus penser ; on ne revient jamais de l’accident humiliant qui m’arrive aujourd’hui ; il faut désormais regarder mon cœur et ma main comme disgraciés ; il ne s’agit plus de les offrir à personne, ni de chercher de nouveaux affronts ; j’ai été dédaignée, je le serai toujours, et une retraite éternelle est l’unique parti qui me reste à prendre.

M. Orgon.

Tu es folle ; on sait que tu as refusé Damis, encore une fois, il le publie lui-même, et tout le risque que tu cours dans cette affaire-ci c’est de passer pour avoir le goût bizarre, voilà tout ; ainsi, tranquillise-toi, et ne va pas toi-même, par un mécontentement mal entendu, te faire soupçonner de sentiments que tu n’as point. Voici ta sœur qui vient nous joindre, et à qui j’avais donné ordre de te parler ; et je te prie de la recevoir avec amitié.