incapable de me réduire ; il me suffit de vous les montrer. Je ne vous demande ni votre souvenir ni votre oubli ; je suis encore trop faible pour oser m’examiner là-dessus, et je ne veux pas savoir lequel des deux je souhaiterais. Pour moi, je vais tâcher de vous oublier ; je ne suis point obligée d’y réussir ; mais je suis obligée de faire, toute ma vie, ce que je pourrai pour cela, et je vais remplir mes devoirs ; je ne vous verrai plus. Adieu. »
Mon ami, après m’avoir lu cette lettre, me dit qu’il y avait fait réponse au gré de la vertu de cette dame, et qu’il partait le lendemain pour sa province.
TROISIÈME FEUILLE.
Je sortais, il y a quelques jours, de la comédie, où j’étais allé voir Romulus[1], qui m’avait charmé, et je disais en moi-même : on dit communément l’élégant Racine, et le sublime Corneille ; quelle épithète donnera-t-on à cet homme-ci, je n’en sais rien ; mais il est beau de les avoir méritées toutes les deux. J’étais donc profondément occupé de cette tragédie, de l’élévation des idées de l’auteur, de la continuité
- ↑ Où j’étais allé voir Romulus. Marivaux veut parler ici du Romulus de La Motte, tragédie donnée le 8 janvier 1722, et qui eut, en effet, vingt-une représentations très-brillantes, mais qui n’est plus aujourd’hui au courant du répertoire. Le Spectateur abuse un peu, dans cette occasion, du droit que chacun a de vanter un ami.