Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendait plus de moi. Aujourd’hui, tout cela m’est étranger ; aujourd’hui, je romps avec ce cœur lâche, avec cette faiblesse, avec mon séducteur, enfin avec vous. Vous n’en serez pas persuadé, et vous allez prendre ce que je dis pour de l’emportement et du trouble ; vous vous trompez ; ma résolution ne vient pas d’être formée. Vous savez que ma mère demeure ici ; vous connaissez son caractère ; hier matin, je lui confiai ma situation ; elle en frémit, autant qu’il m’était nécessaire. Ainsi, voilà sa vertu dans les intérêts de mon devoir. Le soir, mon mari et moi, nous parlâmes de vous ; il fit votre éloge[1], et ce fut un coup de poignard pour moi ; lui qui vous estime tant, mérite-t-il de se tromper si cruellement sur votre compte ? Jetons tous deux les yeux sur nous. Que de devoirs violés de part et d’autre, perfides que nous sommes ! Nous nous serions aimés ! Sans doute nous nous serions juré de nous aimer toujours ! Ah ! monsieur, à qui devais-je plus de fidélité qu’à mon mari ? À qui, vous, en deviez-vous plus qu’à l’honneur ? Vous auriez trahi votre ami ; j’aurais trahi mon

  1. Mon mari et moi, nous parlâmes de vous ; il fit votre éloge. Voilà un mot bien vrai, et cette lettre en contient dix autres non moins heureux, que nous n’avons pas besoin de rappeler. Si nous donnons la préférence à celui-ci, c’est que nous y retrouvons un mot du Marino Faliero de Casimir Delavigne. Héléna, coupable, mais repentante, et décidée à rentrer dans son devoir d’épouse, tâche de ramener à la vertu Fernando, son amant, en lui remettant sous les yeux l’amitié qu’a pour lui le vieux doge. Elle lui dit comme ici : Il me parla de vous.