Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reuse illusion ! qu’était devenue ma raison ? j’aimais, et je ne m’en embarrassais pas. Je regardais cela comme rien, je me croyais toujours vertueuse, seulement pour n’avoir pas dit que je ne l’étais plus. Je dois ma tendresse à mon mari ; cependant au moment où je parle, elle est toute à vous. Juste ciel ! pourquoi faut-il que ce soit un crime ? Que dis-je, cruel que vous êtes ! voyez le désordre que vous avez porté dans mon cœur ; voyez ce que je deviendrais, si je continuais à vous voir. Je ne vous cèle rien ; car enfin, dans l’état où je suis, j’ai besoin de vous parler sans retenue ; ma faiblesse a besoin de se répandre ; c’est un crime encore, mais il m’est nécessaire ; je serais trop exposée, si je voulais combattre tous les mouvemens qui me viennent. Je vous découvre mon état ; cette satisfaction coupable que je me donne, rendra peut-être ma passion moins pesante. Ma passion ! juste Dieu ! n’êtes-vous point étonné vous-même de ce que vous lisez ? Vous qui n’osiez me déclarer votre amour, qui m’en avez fait l’aveu avec tant de crainte, qui m’en entreteniez avec tant de respect, qui ne me demandiez le mien qu’en tremblant, me reconnaissez-vous ? Je n’avais rien à me reprocher, j’avais lieu d’être contente de moi, vous m’estimiez, je m’estimais moi-même, je vivais en repos et dans l’innocence. Où sont tous ces biens-là ? vous m’aimez, et vous me les avez ôtés ; et vous voulez que je vous aime, et vous dites que vous seriez heureux si je vous aimais !