Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amants, puisqu’elle est belle sans y prendre garde, et que par conséquent elle n’est pas coquette ! Jamais je ne me séparais d’elle, que ma tendre surprise n’augmentât, de voir tant de grâces dans un objet qui ne s’en estimait pas davantage. Était-elle assise ou debout, parlait-elle ou marchait-elle, il me semblait toujours qu’elle n’y entendait point finesse, et qu’elle ne songeait à rien moins qu’à paraître ce qu’elle était.

Un jour qu’à la campagne je venais de la quitter, un gant que j’avais oublié fit que je retournai sur mes pas pour l’aller chercher. J’aperçus la belle de loin, qui se regardait dans un miroir, et je remarquai, à mon grand étonnement, qu’elle s’y représentait à elle-même dans tous les sens où, durant notre entretien, j’avais vu son visage, et il se trouvait que ses airs de physionomie que j’avais crus si naïfs n’étaient, à les bien nommer, que des tours de gibecière ; je jugeais de loin que sa vanité en adoptait quelques-uns, qu’elle en réformait d’autres ; c’étaient de petites façons qu’on aurait pu noter, et qu’une femme aurait pu apprendre comme un air de musique. Je tremblai du péril que j’aurais couru, si j’avais eu le malheur d’éprouver encore de bonne foi ses friponneries, au point de perfection où son habileté les portait ; mais je l’avais crue naturelle, et ne l’avais aimée que sur ce pied-là ; de sorte que mon amour cessa tout d’un coup, comme si mon cœur ne s’était attendri que sous condition. Elle m’aperçut à son tour dans son miroir, et rougit. Pour moi