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je n’ai jamais pris la peine de soutenir une conversation, ni de défendre mes opinions, et cela par une paresse insurmontable. D’ailleurs, mon âge avancé, mes voyages, la longue habitude de ne vivre que pour voir et que pour entendre, et l’expérience que j’ai acquise, ont émoussé mon amour-propre sur mille petits plaisirs de vanité, qui peuvent amuser les autres hommes ; de sorte que si mes amis venaient me dire que je passe pour un bel-esprit, je ne sens pas, en vérité, que j’en fusse plus content de moi-même ; mais si je voyais que quelqu’un eût fait quelque profit en lisant mes réflexions, se fût corrigé d’un défaut, oh ! cela me toucherait, et ce plaisir-là serait encore de ma compétence.

Au reste, on ne doit s’attendre dans mes réflexions qu’à des discours généraux. Il ne m’est jamais venu dans l’esprit ni rien de malin, ni rien de trop libre. Je hais tout ce qui s’écarte des bonnes mœurs. Je suis né le plus humain de tous les hommes, et ce caractère a toujours présidé à toutes mes idées.

À l’âge de dix-sept ans, je m’attachai à une jeune demoiselle, à qui je dois le genre de vie que j’embrassai. Je n’étais pas mal fait alors, j’avais l’humeur douce et les manières tendres. La sagesse que je remarquais dans cette fille, m’avait rendu sensible à sa beauté. Je lui trouvais d’ailleurs tant d’indifférence pour ses charmes, que j’aurais juré qu’elle les ignorait. Que j’étais simple dans ce temps-là ! Quel plaisir, disais-je en moi-même, si je puis me faire aimer d’une fille qui ne souhaite pas d’avoir des