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innocente des crimes qu’elle faisait commettre (j’appelle ainsi tout ce qui est satire), et toujours protectrice des gens qu’elle perdait de réputation par la bouche des autres.

Et ce qui est de plaisant, c’est que cette femme, telle que je vous la peins, ne savait pas qu’elle avait l’âme si méchante, le fond de son cœur lui échappait, son adresse la trompait, elle s’y attrapait elle-même, et parce qu’elle feignait d’être bonne, elle croyait l’être en effet.

Telle était donc la dame d’auprès de qui je sortais ; je vous la peins d’après ce que j’entendis dire d’elle dans les suites, d’après le peu de commerce que nous eûmes ensemble, et d’après les réflexions que j’ai faites depuis.

Il y avait huit ou dix ans qu’elle était veuve ; son mari, à ce qu’on disait, n’était pas mort content d’elle ; il l’avait accusée de quelque irrégularité de conduite ; et pour prouver qu’il avait eu tort, elle s’était depuis son veuvage jetée dans une dévotion qui l’avait écartée du monde, et qu’elle avait soutenue, tant par fierté que par habitude, et par la raison de l’indécence qu’il y aurait eu à reparaître sur la scène avec des appas qu’on n’y connaissait plus, que le temps avait un peu usés, et que la retraite même aurait flétris ; car elle fait cet effet-là sur les personnes qui en sortent. La retraite, surtout la chrétienne, ne sied bien qu’à ceux qui y demeurent, et jamais on n’en rapporta un visage à la mode, il en devient toujours ou ridicule ou scandaleux.