Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/48

Cette page n’a pas encore été corrigée

charmé de me trouver au gré d’une grande dame, j’en pétillais d’avance, sans savoir à quoi cela aboutirait, sans songer à la conduite que je devais tenir.

De vous dire que cette dame me fût indifférente, non ; de vous dire que je l’aimais, je ne crois pas non plus. Ce que je sentais pour elle ne pouvait guère s’appeler de l’amour, car je n’aurais pas pris garde à elle, si elle n’avait pas pris garde à moi ; et de ses attentions même, je ne m’en serais point soucié si elle n’avait pas été une personne de distinction.

Ce n’était donc point elle que j’aimais, c’était son rang, qui était très grand par rapport à moi.

Je voyais une femme de condition d’un certain air, qui avait apparemment des valets, un équipage, et qui me trouvait aimable ; qui me permettait de lui baiser la main, et qui ne voulait pas qu’on le sût ; une femme enfin qui nous tirait, mon orgueil et moi, du néant où nous étions encore ; car avant ce temps-là m’étais-je estimé quelque chose ? avais-je senti ce que c’était qu’amour-propre ?

Il est vrai que j’allais épouser Mlle Habert ; mais c’était une petite bourgeoise qui avait débuté par me dire que j’étais autant qu’elle, qui ne m’avait pas donné le temps de m’enorgueillir de sa conquête, et qu’à son bien près, je regardais comme mon égale.

N’avais-je pas été son cousin ? Le moyen, après cela, de voir une distance sensible entre elle et moi ?

Mais ici elle était énorme, je ne la pouvais pas mesurer, je me perdais en y songeant ; cependant c’était de cette distance-là qu’on venait à moi, ou