Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée

En fait d’amour, tout engagé qu’on est déjà, la vanité de plaire ailleurs vous rend l’âme si infidèle, et vous donne en pareille occasion de si lâches complaisances !

J’eus donc la faiblesse de manquer d’honneur et de sincérité ici ; car j’aimais Mlle Habert, du moins je le croyais, et cela revient au même pour la friponnerie que je fis alors ; et quand je ne l’aurais pas aimé, les circonstances où je me trouvais avec elle, les obligations que je lui avais et que j’allais lui avoir, tout n’exigeait-il pas que je disse sans hésiter : Oui, je l’aime, et de tout mon cœur ?

Je n’en fis pourtant rien, parce que cette dame ne voulait pas que je l’aimasse, et que j’étais flatté de ce qu’elle ne le voulait pas.

Mais comme je n’étais pas de caractère à être un effronté fripon, que je n’étais même tout au plus capable d’un procédé faux que dans un cas de cette nature, je pris un milieu que je m’imaginai en être un, et ce fut de me contenter de sourire sans rien répondre, et de mettre une mine à la place du mot qu’on me demandait.

Oui, oui, je vous entends, dit la dame, vous êtes plus reconnaissant qu’amoureux, je m’en doutais bien ; cette fille-là n’a pourtant pas été désagréable autrefois.

Pendant qu’elle parlait, j’essayais la plume que j’avais taillée ; elle n’allait pas à ma fantaisie, et j’y retouchais pour allonger un entretien qui m’amusait beaucoup, et dont je voulais voir la fin.