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valez mieux que moi ; mais cette boutique, si je la prends, mon fils dira : Mon père l’avait ; et par là mon fils sera au niveau de vous. Aujourd’hui vous allez de la boutique à la ferme, et moi j’irai de la ferme à la boutique ; il n’y a pas là grande différence ; ce n’est qu’un étage que vous avez de plus que moi ; est-ce qu’on est misérable à cause d’un étage de moins ? Est-ce que les gens qui servent Dieu comme vous, qui s’adonnent à l’humilité comme vous, comptent les étages, surtout quand il n’y en a qu’un à redire ?

Pour ce qui est de cette rue où vous dites que votre sœur m’a rencontré, eh bien cette rue, c’est que tout le monde y passe ; j’y passais, elle y passait, et il vaut autant se rencontrer là qu’ailleurs, quand on a à se rencontrer quelque part. J’allais être mendiant sans elle ; hélas ! non pas le même jour, mais un peu plus tard, il aurait bien fallu en venir là ou s’en retourner à la ferme ; je le confesse franchement, car je n’y entends point finesse ; c’est bien un plaisir que d’être riche, mais ce n’est pas une gloire hormis pour les sots ; et puis y a-t-il si grande merveille à mon fait ? on est jeune, on a père et mère, on sort de chez eux pour faire quelque chose, quelle richesse voulez-vous qu’on ait ? on a peu, mais on cherche, et je cherchais ; là-dessus votre sœur vient : Qui êtes-vous ? me dit-elle ; je le lui récite. Voulez-vous venir chez nous ? Nous sommes deux filles craignant Dieu, dit-elle. Oui-da, lui dis-je, et en attendant mieux, je la suis. Nous causons par les chemins, je lui apprends mon nom, mon surnom, mes moyens, je lui détaille