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Vous m’embarrassez ; on pourrait vous écouter de reste, ce n’est pas là la difficulté, me dit-elle, mais ma situation ne me le permet guère ; je suis veuve, je plaide, il me restera peu de bien peut-être. Vous avez vu ici un assez grand homme d’une figure bien au-dessous de la vôtre, et qui n’est qu’un simple bourgeois, mais qui est riche, et dont je puis faire un mari quand il me plaira, il m’en presse beaucoup ; et j’ai tant de peine à m’y résoudre que je n’ai rien décidé jusqu’ici, et depuis un jour ou deux, ajouta-t-elle en souriant, je déciderais encore moins, si je m’en croyais. Il y a des gens qu’on aimerait plus volontiers qu’on en épouserait d’autres ; mais j’ai trop peu de fortune pour suivre mes goûts ; je ne saurais même demeurer encore longtemps à Paris, comme il me conviendrait d’y être, et si je n’épouse pas, il faut que je m’en retourne à une terre que je hais, et dont le séjour est si triste qu’il me fait peur ; ainsi comment voulez-vous que je fasse ? Je ne sais pas pourquoi je vous dis tout cela, au reste ; il faut que je sois folle ; et je ne veux plus vous voir.

À ce discours, je sentis à merveilles que j’étais avec une de ces beautés malaisées dont le meilleur revenu consiste en un joli visage ; je compris l’espèce de liaison qu’elle avait avec cet homme qu’elle qualifiait d’un mari futur ; je sentis bien aussi qu’elle me disait : Si je le renvoie, le remplacerez-vous, ou bien ne me demandez-vous qu’une infidélité passagère ?

Petite façon de traiter l’amour qui me rebuta un peu ; je ne m’étais imaginé qu’une femme galante,