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Je vous dirai, au reste, que, tout enthousiasmé que j’étais de cette agréable métamorphose, elle ne me donna que du plaisir et point de vanité. Je m’en estimai plus heureux, et voilà tout, je n’allai pas plus loin.

Attendez pourtant, il faut conter les choses exactement ; il est vrai que je ne me sentis point plus glorieux, que je n’eus point cette vanité qui fait qu’un homme va se donner des airs ; mais j’en eus une autre, et la voici.

C’est que je songeai en moi-même qu’il ne fallait pas paraître aux autres ni si joyeux, ni si surpris de mon bonheur, qu’il était bon qu’on ne remarquât pas combien j’y étais sensible, et que si je ne me contenais pas, on dirait : Ah ! le pauvre petit garçon, qu’il est aise ! il ne sait à qui le dire.

Et j’aurais été honteux qu’on fît cette réflexion-là ; je ne l’aurais pas même aimée dans ma femme ; je voulais bien qu’elle sût que j’étais charmé, et je le lui répétais cent fois par jour, mais je voulais le lui dire moi-même, et non pas qu’elle y prit garde en son particulier : j’y faisais une grande différence, sans démêler que confusément pourquoi ; et la vérité est qu’en pénétrant par elle-même toute ma joie, elle eût bien vu que c’était ce petit valet, ce petit paysan, ce petit misérable qui se trouvait si heureux d’avoir changé d’état, et il m’aurait été déplaisant qu’elle m’eût envisagé sous ces faces-là : c’était assez qu’elle me crût heureux, sans songer à ma bassesse passée. Cette idée-là n’était bonne que chez moi, qui en faisais intérieurement