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dévots n’aiment jamais tant Dieu que lorsqu’ils en ont obtenu leurs petites satisfactions temporelles, et jamais on ne prie mieux que quand l’esprit et la chair sont contents, et prient ensemble ; il n’y a que lorsque la chair languit, souffre, et n’a pas son compte, et qu’il faut que l’esprit soit dévot tout seul, qu’on a de la peine.

Mais Mme de la Vallée n’était pas dans ce cas-là ; elle n’avait rien à souhaiter, ses satisfactions étaient légitimes, elle pouvait en jouir en conscience ; aussi sa dévotion en avait-elle augmenté de moitié, sans en être apparemment plus méritoire, puisque c’était le plaisir de posséder ce cher mari, ce gros brunet, comme elle m’appelait quelquefois, et non pas l’amour de Dieu, qui était l’âme de sa dévotion.

Nous soupâmes chez notre hôtesse, qui, de la manière dont elle en agissait, me parut cordialement amoureuse de moi, sans qu’elle s’en aperçût elle-même peut-être. La bonne femme me trouvait à son gré et le témoignait tout de suite, comme elle le sentait.

Oh ! pour cela, madame de la Vallée, il n’y a rien à dire, vous avez pris là un mari de bonne mine, un gros dodu que tout le monde aimera ; moi à qui il n’est rien, je l’aime de tout mon cœur, disait-elle ; et puis, un moment après : Vous ne devez pas avoir regret de vous être mariée si tard, vous n’auriez pas mieux choisi il y a vingt ans au moins. Et mille autres naïvetés de la même force qui ne divertissaient pas beaucoup Mme de la Vallée, surtout quand