Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/181

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’amoureux regards ; et à mon âge, quand on a ces petites considérations-là dans l’esprit, on n’a pas besoin de tendresse pour aimer les gens et pour voir avec chagrin troubler un rendez-vous comme celui qu’on m’avait donné.

Il y a bien des amours où le cœur n’a point de part, il y en a plus de ceux-là que d’autres même, et dans le fond, c’est sur eux que roule la nature, et non pas sur nos délicatesses de sentiment qui ne lui servent de rien. C’est nous le plus souvent qui nous rendons tendres, pour orner nos passions, mais c’est la nature qui nous rend amoureux ; nous tenons d’elle l’utile que nous enjolivons de l’honnête ; j’appelle ainsi le sentiment ; on n’enjolive pourtant plus guère ; la mode en est assez passée dans ce temps où j’écris.

Quoi qu’il en soit, je n’avais qu’un amour fort naturel ; et comme cet amour-là a ses agitations, il me déplaisait beaucoup d’avoir été interrompu.

Le cavalier lui a pris la main, il la lui a baissée sans façon ; et ce drôle-là va devenir bien hardi de ce qu’il nous a surpris ensemble, disais-je en moi-même ; car je comprenais à merveille l’abus qu’il pourrait faire de cela. Mme de Ferval, ci-devant dévote, et maintenant reconnue pour très profane, pour une femme très légère de scrupules, ne pouvait plus se donner les airs d’être fière ; le gaillard m’avait paru aimable, il était grand et de bonne mine ; il y avait quatre mois, disait-il, qu’il aimait la dame ; il avait surpris le secret de ses mœurs, peut-être se vengerait-il si on le rebutait, peut-être se tairait-il