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Ah bon ! lui dit-il, vous voilà, et vous aussi, ajouta-t-il en me regardant ; eh bien ! qu’est-ce que c’est ? Vous êtes donc bien triste, pauvre jeune femme ? (On sent bien à qui cela s’adressait.) Qui est cette dame-là avec qui vous êtes ? Est-ce votre mère ou votre parente ?

Je suis sa fille, monsieur, répondit la jeune personne. Ah ! vous êtes sa fille, voilà qui est bien, elle a l’air d’une honnête femme, et vous aussi ; j’aime les honnêtes gens, moi. Et ce mari, quelle espèce d’homme est-ce ? D’où vient donc qu’il est si souvent malade ? Est-ce qu’il est vieux ? N’y a-t-il pas un peu de débauche dans son fait ?

Toutes questions qui étaient assez dures, et pourtant faites avec la meilleure intention du monde, ainsi que vous le verrez dans la suite, mais qui n’avaient rien de moelleux ; c’était presque autant de petits affronts à essuyer pour l’amour-propre.

On dit de certaines gens qu’ils ont la main lourde ; cet honnête homme-ci ne l’avait pas légère.

Revenons : c’était du mari dont il s’informait. Il n’est ni vieux ni débauché, répondit la jeune dame ; c’est un homme de très bonnes mœurs, qui n’a que trente-cinq ans, et que les malheurs qui lui sont arrivés ont accablé ; c’est le chagrin qui a ruiné sa santé.

Oui-da, dit-il, je le croirais bien, le pauvre homme. Cela est fâcheux ; vous m’avez touché tantôt, aussi bien que votre mère, j’ai pris garde qu’elle pleurait. Eh ! dites-moi, vous avez donc bien de la peine à vivre, quel âge avez-vous ? Vingt