Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée

Oui, monsieur, dis-je en rougissant, je sais même un peu d’arithmétique. Comment donc ! s’écria-t-il en plaisantant, vous nous faites trop de grâce. Allez, jusqu’à après-demain.

Sur quoi je me retirais avec l’agrément de laisser ces messieurs riant de tout leur cœur de mon arithmétique, et de mon écriture, quand il vint un laquais qui dit à M. de Fécour qu’une appelée madame une telle (c’est ainsi qu’il s’expliqua) demandait à lui parler.

Ah ! ah ! répondit-il, je sais qui elle est ; elle arrive fort à propos, qu’elle entre : et vous, restez (c’était à moi à qui il parlait).

Je restai donc, et sur-le-champ deux dames entrèrent qui étaient modestement vêtues, dont l’une était une jeune personne de vingt ans, accompagnée d’une femme d’environ cinquante.

Toutes deux d’un air fort triste, et encore plus suppliant.

Je n’ai vu de ma vie rien de si distingué ni de si touchant que la physionomie de la jeune ; on ne pouvait pourtant pas dire que ce fût une belle femme ; il faut d’autres traits que ceux-là pour faire une beauté.

Figurez-vous un visage qui n’a rien d’assez brillant ni d’assez régulier pour surprendre les yeux, mais à qui rien ne manque de ce qui peut surprendre le cœur, de ce qui peut inspirer du respect, de la tendresse et même de l’amour ; car ce qu’on sentait pour cette jeune personne était mêlé de tout ce que je dis là.

C’était, pour ainsi dire, une âme qu’on voyait sur ce