Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/14

Cette page n’a pas encore été corrigée

petite personne, au lieu de nous dire : Ce n’est rien que cela ! s’écria : Ah ! que ceci est fâcheux ! et voilà toujours dans quel goût les âmes malignes s’y prennent en pareil cas ; c’est là leur style.

La cuisinière entra, Mlle Habert sécha ses pleurs, nous servit, Mme d’Alain, sa fille et moi ; et nous mangeâmes tous d’assez bon appétit. Le mien était grand ; j’en cachai pourtant une partie, de peur de scandaliser ma future, qui soupait très sobrement, et qui m’aurait peut-être accusé d’être peu touché, si j’avais eu le courage de manger tant. On ne doit pas avoir faim quand on est affligé.

Je me retenais donc par décence, ou du moins j’eus l’adresse de me faire dire plusieurs fois : Mangez donc ; Mlle Habert m’en pria elle-même, et de prières en prières, j’eus la complaisance de prendre une réfection fort honnête sans qu’on y pût trouver à redire.

Notre entretien pendant le repas n’eut rien d’intéressant ; Mme d’Alain, à son ordinaire, s’y répandit en propos inutiles à répéter, nous y parla de notre aventure d’une manière qu’elle croyait très énigmatique, et qui était fort claire, remarqua que celle qui nous servait prêtait l’oreille à ses discours, et lui dit qu’il ne fallait pas qu’une servante écoutât ce que disaient les maîtres.

Enfin Mme d’Alain en agit toujours avec sa discrétion accoutumée ; le repas fini, elle embrassa Mlle Habert, lui promit son amitié, son secours, presque sa protection, et nous laissa, sinon