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Et vous, monsieur (c’était au jeune homme à qui il parlait), avez-vous des affaires où nous allons ?

J’y vais voir un seigneur à qui je donnai dernièrement un livre qui vient de paraître, et dont je suis l’auteur, dit-il. Ah oui ! reprit l’officier ; c’est le livre dont nous parlions l’autre jour, lorsque nous dînâmes ensemble. C’est cela même, répondit le jeune homme. L’avez-vous lu, monsieur ? ajouta-t-il.

Oui, je le rendis hier à un de mes amis qui me l’avait prêté, dit l’officier. Eh bien ! monsieur, dites-moi ce que vous en pensez, je vous prie, répondit le jeune homme. Que feriez-vous de mon sentiment ? dit l’officier ; il ne déciderait de rien, monsieur. Mais encore, dit l’autre en le pressant beaucoup, comment le trouvez-vous ?

En vérité, monsieur, reprit le militaire, je ne sais que vous en dire, je ne suis guère en état d’en juger, ce n’est pas un livre fait pour moi, je suis trop vieux.

Comment trop vieux ! reprit le jeune homme. Oui, dit l’autre, je crois que dans une grande jeunesse on peut avoir du plaisir à le lire : tout est bon à cet âge où l’on ne demande qu’à rire, et où l’on est si avide de joie qu’on la prend comme on la trouve, mais nous autres barbons, nous y sommes un peu plus difficiles ; nous ressemblons là-dessus à ces friands dégoûtés que les mets grossiers ne tentent point, et qu’on n’excite à manger qu’en leur en donnant de fins et de choisis. D’ailleurs, je n’ai point vu le dessein de votre livre, je ne sais à quoi il tend, ni quel en est le but. On dirait que vous ne vous êtes pas