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milieu de cela ; et puis je l’épouse, et le lendemain des noces je fus tout surpris de me trouver marié ; avec qui ? du moins est-ce avec une personne fort raisonnable, disais-je en moi-même.

Oui, ma foi, raisonnable, c’était bien la connaître ; savez-vous ce qu’elle devint au bout de trois mois, cette fille que j’avais cru si sensée ? Une bigote de mauvaise humeur, sérieuse, quoique babillarde, car elle allait toujours critiquant mes discours et mes actions : enfin une folle grave, qui ne me montra plus qu’une longue mine austère, qui se coiffa de la triste vanité de vivre en recluse ; non pas au profit de sa maison qu’elle abandonnait : elle aurait cru se dégrader par le soin de son ménage, et elle ne donnait pas dans une piété si vulgaire et si unie ; non, elle ne se tenait chez elle que pour passer sa vie dans une oisiveté contemplative, que pour vaquer à de saintes lectures dans un cabinet dont elle ne sortait qu’avec une tristesse dévote et précieuse sur le visage comme si c’était un mérite devant Dieu que d’avoir ce visage-là.

Et puis madame se mêlait de raisonner de religion ; elle avait des sentiments, elle parlait de doctrine, c’était une théologienne.

Je l’aurais pourtant laissé faire, s’il n’y avait eu que cela, mais cette théologienne était fâcheuse et incommode.

Retenais-je un ami à dîner, madame ne voulait pas manger avec ce profane ; elle était indisposée, et dînait à part dans sa chambre, où elle demandait pardon à Dieu du libertinage de ma conduite.