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songe ; je ne saurais digérer mon aventure. Imaginez-vous que quinze jours après, un homme veuf, fort à son aise, plus âgé que moi, s’avisa de faire la cour à ma belle, que j’appelle belle en plaisantant car il y a cent mille visages comme le sien, auxquels on ne prend pas garde ; et excepté de grands yeux de prude qu’elle a, et qui ne sont pourtant pas si beaux qu’ils le paraissent, c’est une mine assez commune, et qui n’a vaillant que de la blancheur.

Cet homme dont je vous parle me déplut ; je le trouvais toujours là, cela me mit de mauvaise humeur ; je n’étais jamais de son avis, je le brusquais volontiers ; il y a des gens qui ne reviennent point, et c’est à quoi j’attribuai mon éloignement pour lui ; voilà tout ce que j’y compris, et je me trompais encore : c’est que j’étais jaloux. Cet homme apparemment s’ennuyait d’être veuf ; il parla d’amour, et puis de mariage ; je le sus, je l’en haïs davantage, et toujours de la meilleure foi du monde.

Est-ce que vous voulez épouser cet homme-là ? dis-je à cette fille. Mes parents et mes amis me le conseillent, me dit-elle ; de son côté, il me presse, et je ne sais que faire, je ne suis encore déterminée à rien. Que me conseillez-vous vous-même ? Moi rien, lui dis-je en boudant, vous êtes votre maîtresse ; épousez, mademoiselle, épousez, puisque vous en avez envie. Eh mon Dieu, monsieur, me dit-elle en me quittant, comme vous me parlez, si vous ne vous souciez pas des gens, du moins dispensez-vous de le dire. Pardi, mademoiselle, c’est vous qui ne vous souciez