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votre âge à qui j’en vois prendre, car assurément monsieur n’a pas vingt ans.

Je les aurai bientôt, madame, lui dis-je, en me reculant jusqu’à ma chaise. Ah ! le bel âge, s’écria-t-elle. Oui, dit Mme de Ferval, mais il ne faut pas qu’il perde son temps, car il n’a point de fortune ; il n’y a que cinq ou six mois qu’il arrive de province, et nous voudrions bien l’employer à quelque chose.

Oui-da, répondit-elle, ce sera fort bien fait, monsieur plaira à tous ceux qui le verront, je lui pronostique un mariage heureux. Hélas ! madame, il vient de se marier à une nommée Mlle Habert qui est de son pays, et qui a bien quatre ou cinq mille livres de rentes, dit Mme de Ferval.

Aha, Mlle Habert, reprit l’autre, j’ai entendu parler de cela dans une maison d’où je sors.

À ce discours nous rougîmes tous deux, Mme de Ferval et moi ; de vous dire pourquoi elle rougissait aussi, c’est ce que je ne sais pas, à moins que ce ne fût de ce que Mme de Fécour avait sans doute appris que j’étais un bien petit monsieur, et qu’elle l’avait pourtant surprise en conversation réglée avec moi. D’ailleurs elle aimait ce petit monsieur ; elle était dévote ou du moins elle passait pour telle, et tout cela ensemble pouvait un peu embarrasser sa conscience.

Pour moi, il était naturel que je fusse honteux : mon histoire, que Mme de Fécour disait qu’on lui avait faite, était celle d’un petit paysan, d’un valet en bon français, d’un petit drôle rencontré sur le Pont-