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Encore un trait de son caractère par lequel je finis, et qui est bien singulier.

Lui disiez-vous : J’ai du chagrin ou de la joie, telles ou telles espérances ou tel embarras, elle n’entrait dans votre situation qu’à cause du mot et non pas de la chose : ne pleurait avec vous qu’à cause que vous pleuriez, et non parce que vous aviez sujet de pleurer ; riait de même, s’intriguait pour vous sans s’intéresser à vos affaires, sans savoir qu’elle ne s’y intéressait pas, et seulement parce que vous lui aviez dit : Intriguez-vous. En un mot, c’étaient les termes et le ton avec lequel vous les prononciez, qui la remuaient. Si on lui avait dit : Votre ami, ou bien votre parent est mort, et qu’on le lui eût dit d’un air indifférent, elle eût répondu du même air : Est-il possible ? Lui eussiez-vous reparti avec tristesse qu’il n’était que trop vrai, elle eût repris d’un air affligé : Cela est bien fâcheux.

Enfin c’était une femme qui n’avait que des sens et point de sentiments, et qui passait pourtant pour la meilleure femme du monde, parce que ses sens en mille occasions lui tenaient exactement lieu de sentiment et lui faisaient autant d’honneur.

Ce caractère, tout particulier qu’il pourra paraître, n’est pas si rare qu’on le pense, c’est celui d’une infinité de personnes qu’on appelle communément de bonnes gens dans le monde ; ajoutez seulement de bonnes gens qui ne vivent que pour le plaisir et pour la joie, qui ne haïssent rien que ce qu’on leur fait haïr, ne sont que ce qu’on veut qu’ils soient,