Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/99

Cette page n’a pas encore été corrigée

que je voyais remplie de mille instants délicieux si je la prolongeais.

Valville m’aimait, il ne me l’avait pas encore dit, et il aurait eu le temps de me le dire. je l’aimais, il l’ignorait, du moins je le croyais, et je n’aurais pas manqué de le lui apprendre.

Il aurait donc eu le plaisir de me voir sensible, moi celui de montrer que je l’étais, et tous deux celui de l’être ensemble.

Que de douceurs contenues dans ce que je vous dis là, madame ! l’amour peut en avoir de plus folles ; peut-être n’en a-t-il point de plus touchantes, ni qui aillent si droit et si nettement au cœur, ni dont ce cœur jouisse avec moins de distraction, avec tant de connaissance et de lumières, ni qu’il partage moins avec le trouble des sens ; il les voit, il les compte, il en démêle distinctement tout le charme, et cependant je les sacrifiais.

Au reste, tout ce qui me vint alors dans l’esprit là-dessus, quoique long à dire, n’est qu’un instant à être pensé.

Ne vous inquiétez point, mademoiselle, me dit Valville ; donnez votre adresse, on partira sur-le-champ.

Et c’était en me prenant la main qu’il me parlait ainsi, d’un air tendre et pressant.

je ne comprends pas comment j’y résistai. Faites-y attention, ajouta-t-il en insistant. Vous n’êtes point en état de vous en aller sitôt ; il est tard : dînez ici, vous partirez ensuite. Pourquoi hésiter ? Vous n’avez rien à vous reprocher en restant ; on ne saurait y trouver