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« La première partie de la Vie de Marianne a paru faire plaisir à bien des gens ; ils en ont surtout aimé les réflexions qui y sont semées. D’autres lecteurs ont dit qu’il y en avait trop ; c’est à ces derniers que ce petit avant-propos s’adresse.

« Qu’on leur donnât un livre intitulé, Réflexions sur l’homme, ne le liraient-ils pas volontiers, si les réflexions en étaient bonnes ? Nous en avons même beaucoup de ces livres, et dont quelques-uns sont fort estimés ; pourquoi donc les réflexions leur déplaisent-elles ici, en cas qu’elles n’aient contre elles que d’être des réflexions ? C’est, diront-ils, que dans des aventures connue celles-ci, elles ne sont pas à leur place ; il est question de nous y amuser, et non pas de nous y faire penser.

« À cela voici ce qu’on leur répond. Si vous regardez la Vie de Marianne comme un roman, vous avez raison, votre critique est juste ; il y a trop de réflexions, et ce n’est pas là la forme ordinaire des romans, ou des histoires faites simplement pour divertir. Mais Marianne n’a point songé à faire un roman. Son amie lui demande l’histoire de sa vie, et elle l’écrit à sa manière. Marianne n’a aucune forme d’ouvrage présente à l’esprit. Ce n’est point un auteur ; c’est une femme qui pense, qui a passé par différens états, qui a beaucoup vu, enfin, dont la vie est un tissu d’événemens qui lui ont donné une certaine connaissance du cœur et du caractère des hommes, et qui, en contant ses aventures, s’imagine être avec son amie, lui parler, l’entretenir, lui répondre ; dans cet esprit-là, elle mêle indistinctement les faits qu’elle raconte aux réflexions qui lui viennent à propos de ces faits ; voilà sur quel ton le prend Marianne. Ce n’est, si vous voulez, ni celui du roman ni celui de l’histoire, mais c’est le sien ; ne