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vanité, je menaçais déjà d’être furieusement femme. Un ruban de bon goût, ou un habit galant, quand j’en rencontrais, m’arrêtait tout court, je n’étais plus de sang-froid ; je m’en ressentais pour une heure, et je ne manquais pas de m’ajuster de tout cela en idée (comme je vous l’ai déjà dit de mon habit) ; enfin là-dessus je faisais toujours des châteaux en Espagne, en attendant mieux.

Mais malgré cela, depuis que j’étais sûre que M. de Climal m’aimait, j’avais absolument résolu, s’il m’en parlait, de lui dire qu’il était inutile qu’il m’aimât. Après quoi, je prendrais sans scrupule tout ce qu’il voudrait me donner ; c’était là mon petit arrangement.

Au bout de quatre jours on m’apporta mon habit et du linge ; c’était un jour de fête, et je venais de me lever quand cela vint. À cet aspect, Toinon et moi nous perdîmes d’abord toutes deux la parole, moi d’émotion de joie, elle de la triste comparaison qu’elle fit de ce que j’allais être à ce qu’elle serait : elle aurait bien troqué son père et sa mère contre le plaisir d’être orpheline au même prix que moi ; elle ouvrait sur mon petit attirail de grands yeux stupéfaits et jaloux, et d’une jalousie si humiliée, que cela me fit pitié dans ma joie : mais il n’y avait point de remède à sa peine, et j’essayai mon habit le plus modestement qu’il me fut possible, devant un petit miroir ingrat qui ne me rendait que la moitié de ma figure ; et ce que j’en voyais me paraissait bien piquant.

Je me mis donc vite à me coiffer et à m’habiller