Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/54

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas qui vous êtes ; mais, Marianne, ajouta-t-il, en me prenant la main qu’il serrait imperceptiblement, ne seriez-vous pas un peu plus familière avec un ami qui vous voudrait autant de bien que je vous en veux ? Voilà ce que je demande : vous lui diriez vos sentiments, vos goûts ; vous aimeriez à le voir. Pourquoi ne feriez-vous pas de même avec moi ? Oh ! j’y veux mettre ordre absolument, ou nous aurons querelle ensemble. À propos, j’oubliais à vous donner de l’argent. Et en disant cela, il me mit quelques louis d’or dans la main. Je les refusai d’abord, et lui dis qu’il me restait quelque argent de la défunte ; mais, malgré cela, il me força de les prendre. Je les pris donc avec honte, car cela m’humiliait ; mais je n’avais pas de fierté à écouter là-dessus avec un homme qui s’était chargé de moi, pauvre orpheline, et qui paraissait vouloir me tenir lieu de père.

Je fis une révérence assez sérieuse en recevant ce qu’il me donnait. Eh ! me dit-il, ma chère Marianne, laissons là les révérences, et montrez-moi que vous êtes contente. Combien m’allez-vous saluer de fois pour un habit que je vais vous acheter ? voyons. Je ne fis pas, ce me semble, une grande attention à l’habit qu’il me promettait, mais il dit cela d’un air si bon et si badin, qu’il me gagna le cœur, je vous l’avoue ; mes répugnances me quittèrent, un vif sentiment de reconnaissance en prit la place ; et je me jetai sur son bras que j’embrassai de fort bonne grâce et presque en pleurant de sensibilité.

Il fut charmé de mon mouvement, et me prit la