Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/492

Cette page n’a pas encore été corrigée

elle ; il me semblait voir en elle une personne qui était plus réellement ma compagne qu’une autre.

Elle me confiait son affliction, et dans l’attendrissement où nous étions toutes deux, dans cette effusion de sentiments tendres et généreux à laquelle nos cœurs s’abandonnaient, comme elle m’entretenait des malheurs de sa famille, je lui racontai aussi les miens, et les lui racontai à mon avantage, non par aucune vanité, prenez garde, mais, ainsi que je l’ai déjà dit, par un pur effet de la disposition d’esprit où je me trouvais. Mon récit devint intéressant ; je le fis, de la meilleure foi du monde, dans un goût aussi noble que tragique ; je parlai en déplorable victime du sort, en héroïne de roman, qui ne disait pourtant rien que de vrai, mais qui ornait la vérité de tout ce qui pouvait la rendre touchante, et me rendre moi-même une infortunée respectable.

En un mot, je ne mentis en rien, je n’en étais pas capable ; mais je peignis dans le grand ; mon sentiment me menait ainsi sans que j’y pensasse.