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mais les âmes tendres et délicates ont volontiers le défaut de se relâcher dans leur tendresse, quand elles ont obtenu toute la vôtre ; l’envie de vous plaire leur fournit des grâces infinies, leur fait faire des efforts qui sont délicieux pour elles, mais dès qu’elles ont plu, les voilà désœuvrées.

Quoi qu’il en soit, la jeune demoiselle, en reconnaissance de l’attachement que Mme de Miran m’ordonnait d’avoir pour elle, vint galamment se jeter à mon cou et me demander mon amitié. Cette action, à laquelle elle se livra de la manière du monde la plus aimable et la plus naïve, m’attendrit ; je n’en aurais peut-être pas fait autant qu’elle ; non qu’elle ne m’eût paru fort digne d’être aimée ; mais mon cœur ne me disait rien pour elle, ou plutôt je me sentais un fond de froideur que j’aurais eu de la peine à vaincre, et qui ne tint point contre ses caresses. Je les lui rendis avec toute la sensibilité dont j’étais capable, et m’intéressai véritablement à elle, qui, s’arrachant encore d’entre les bras de sa mère, se retira enfin dans le couvent, d’où je lui criai que j’allais la suivre dès que nous aurions vu l’abbesse, avec qui Mme de Miran voulait avoir un instant d’entretien.

La mère remonta dans son équipage, baignée de ses larmes, et le lendemain partit en effet pour l’Angleterre.

Mme de Miran alla un instant parler à l’abbesse, me vit entrer dans le couvent, et alla rejoindre Valville,