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elle nous aime tous, et elle veut avoir soin de ma fortune. Voilà qui je suis, mademoiselle ; y a-t-il rien là dedans qui vous choque ? Est-ce que le parti n’est pas de votre goût ?

Monsieur, lui dis-je, je ne songe guère à me marier.

C’est peut-être que je vous déplais ? me repartit-il. Non, lui dis-je, mais si j’épouse jamais quelqu’un, je veux du moins l’aimer, et je ne vous aime pas encore ; nous verrons dans la suite. Tant pis, c’est l’effet de mon malheur, me répondit-il. Ce n’est pas que je sois en peine de trouver une femme ; il n’y a pas encore plus de huit jours qu’on parla d’une, qui aura beaucoup de bien d’une tante, et qui d’ailleurs a père et mère.

Et moi, monsieur, lui dis-je, je suis orpheline, et vous me faites trop d’honneur. Je ne dis pas cela, mademoiselle, et ce n’est pas à quoi je songe ; mais véritablement je ne me serais pas imaginé que vous eussiez eu tant de mépris pour moi, me dit-il. J’aurais cru que vous y prendriez un peu plus garde, eu égard à l’occurrence où vous êtes, qui est naturellement assez fâcheuse, et pas des plus favorables à votre établissement. Excusez si je vous en parle ; mais c’est par bonne amitié, et en manière de conseil. Il y a des occasions qu’il ne faut pas laisser aller, principalement quand on a affaire à des gens qui n’y regardent pas de si près, et qui ne font pas plus les difficiles que moi. En cas de mariage, il n’y a personne qui ne soit bien aise d’entrer dans une famille ; moi, je m’en passe, c’est ce qu’il y a à considérer.