Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/407

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n’est pas là-dessus qu’on vous attaque ; c’est seulement sur une naissance qu’on ne connaît point, et dont vous savez tout le malheur. Ma fille, vous avez affaire à des parents puissants, qui ne souffriront point un pareil mariage. S’il ne fallait que du mérite, vous auriez lieu d’espérer que vous leur conviendriez mieux qu’une autre ; mais on ne se contente pas de cela dans le monde. Toute estimable que vous êtes, ils n’en rougiraient pas moins de vous voir entrer dans leur alliance ; vos bonnes qualités n’en rendraient pas votre mari plus excusable ; on ne lui pardonnerait jamais une épouse comme vous ; ce serait un homme perdu dans l’estime publique. J’avoue qu’il est fâcheux que le monde pense ainsi ; mais dans le fond, on n’a pas tant de tort ; la différence des conditions est une chose nécessaire dans la vie, et elle ne subsisterait plus, il n’y aurait plus d’ordre, si on permettait des unions aussi inégales que le serait la vôtre, on peut dire même aussi monstrueuses, ma fille. Car entre nous, et pour vous aider à entendre raison, songez un peu à l’état où Dieu a permis que vous soyez, et à toutes ses circonstances ; examinez ce que vous êtes, et ce qu’est celui qui veut vous épouser ; mettez-vous à la place des parents, je ne vous demande que cette petite réflexion-là.

Eh ! madame, madame, et moi je vous demande quartier là-dessus, lui dis-je de ce ton naïf et hardi qu’on a quelquefois dans une grande douleur. Je vous assure que c’est un sujet sur lequel il ne me reste plus de réflexions à faire, non plus que d’humiliations