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agitée, et sans prendre de résolution là-dessus. À trois heures après-midi, on m’annonça Mme de Miran, et j’allai la trouver au parloir dans une émotion qui venait de plusieurs motifs. Et les voici.

Me tairai-je ? C’est assurément le plus sûr, me disais-je ; mais ce n’est pas le plus honnête, et je trouve cela lâche. Parlerai-je ? C’est le parti le plus digne, mais d’un autre côté le plus dangereux. Il fallait se hâter d’opter, et j’étais déjà devant Mme de Miran sans m’être encore arrêtée à rien.

Il est quelquefois difficile de décider entre la fortune et son devoir. Quand je dis ma fortune, je parle de celle de mon cœur, que je risquais de perdre, et du bonheur qu’il y aurait pour moi à me voir unie à un homme qui m’était cher ; car je ne songeais point du tout aux biens de Valville, non plus qu’au rang qu’il me donnerait. Quand on aime bien, on ne pense qu’à son amour ; il absorbe toute autre considération ; et le reste, de quelque conséquence qu’il fût, ne m’aurait pas fait hésiter un instant. Mais il s’agissait de celer à Mme de Miran un accident qu’il importait qu’elle sût, à cause des inconvénients qui le suivraient.

Ma fille, me dit-elle, voici un contrat de douze cents livres de rente qui vous appartient, et que je vous apporte ; il est en bonne forme, vous pouvez vous en fier à moi ; c’est mon frère qui vous le laisse, et mon fils, qui est son héritier, n’y perd rien, puisque vous devez l’épouser, et que cela lui revient ; mais n’importe, prenez ; c’est un bien qui est à vous, et