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Mon Dieu ! combien de douleur peut entrer dans notre âme, jusqu’à quel degré peut-on être sensible ! Je vous avouerai que l’épreuve que j’ai fait de cette douleur dont nous sommes capables est une des choses qui m’a le plus épouvantée dans ma vie, quand j’y ai songé ; je lui dois même le goût de retraite où je suis à présent.

Je ne sais point philosopher, et je ne m’en soucie guère, car je crois que cela n’apprend rien qu’à discourir ; les gens que j’ai entendu raisonner là-dessus ont bien de l’esprit assurément ; mais je crois que sur certaine matière ils ressemblent à ces nouvellistes qui font des nouvelles quand ils n’en ont point, ou qui corrigent celles qu’ils reçoivent quand elles ne leur plaisent pas. Je pense, pour moi, qu’il n’y a que le sentiment qui nous puisse donner des nouvelles un peu sûres de nous, et qu’il ne faut pas trop se fier à celles que notre esprit veut faire à sa guise, car je le crois un grand visionnaire.

Mais reprenons vite mon récit ; je suis toute honteuse du raisonnement que je viens de faire, et j’étais toute glorieuse en le faisant : vous verrez que j’y prendrai goût ; car dans tout il n’y a, dit-on, que le premier pas qui coûte. Eh ! pourquoi n’y reviendrais-je pas ? Est-ce à cause que je ne suis qu’une femme, et que je ne sais rien ? Le bon sens est de tout sexe ; je ne veux instruire personne ; j’ai cinquante ans passés ; et un honnête homme très savant me disait l’autre jour que, quoique je ne susse rien, je n’étais pas plus ignorante que ceux qui en savaient plus que