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en me lançant un regard enflammé de tendresse, serait-il beau qu’elle ne s’aperçût pas de l’absence d’un homme à qui sa mère la destine ? Si vous tourniez la tête, j’aurais grande envie de lui baiser la main pour la remercier, et il me la prenait en tenant ce discours ; mais je la retirai bien vite ; je lui donnai même un petit coup sur la sienne, et me jetai tout de suite sur celle de Mme de Miran, que je baisai de tout mon cœur, et pénétrée des mouvements les plus doux qu’on puisse sentir.

Elle de son côté me serra la mienne. Ah ! la bonne petite hypocrite ! me dit-elle ; vous abusez tous deux du respect que vous me devez ; allons, paix, parlons d’autre chose. Avez-vous passé chez mon frère, mon fils, comment se porte-t-il ce matin ? Un peu mieux, mais toujours assoupi comme hier, répondit Valville. Cet assoupissement m’inquiète, dit Mme de Miran ; nous ne serons pas aujourd’hui si longtemps chez Mme Dorsin que l’autre jour, je veux voir mon frère de bonne heure.

Et nous en étions là quand le cocher arrêta chez cette dame. Il y avait bonne compagnie ; j’y trouvai les mêmes personnes que j’y avais déjà vues, avec deux autres, qui ne me parurent point de trop pour moi, et qui, à la façon obligeante et pourtant curieuse dont elles me regardèrent, s’attendaient à me voir, ce me semble ; il fallait qu’on se fût entretenu de moi, et à mon avantage ; ce sont de ces choses qui se sentent.

Nous dînâmes ; on me fit parler plus que je n’avais