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nous portent à voir les personnes dont on nous conte des choses singulières.

Et cet effet me fut avantageux ; toutes ces filles m’aimèrent, surtout les religieuses, qui ne me disaient rien de ce qu’elles savaient de moi (vraiment elles n’avaient garde, comme avait dit notre abbesse), mais qui, dans les discours qu’elles me tenaient, et tout en se récriant sur mon air de douceur et de modestie, sur mon aimable petite personne, prenaient avec moi des tons de lamentation si touchants, que vous eussiez dit qu’elles pleuraient sur moi ; et le tout à propos de ce qu’elles savaient, et de ce que, par discrétion, elles ne faisaient pas semblant de savoir. Voyez, que cela était adroit ! Quand elles m’auraient dit : Pauvre petite orpheline, que vous êtes à plaindre d’être réduite à la charité des autres ! elles ne se seraient pas expliquées plus clairement.

Venons à ce qui fait que je parle de ceci. C’est que cette jeune pensionnaire, qui se croyait si belle, et qui était si fière, avait été la seule qui m’eût dédaignée, et qui ne m’eût pas dit un mot ; à peine pouvait-elle se résoudre à payer d’une imperceptible inclination de tête les révérences que je ne manquais jamais de lui faire lorsque je la rencontrais. On voyait que cela lui coûtait.

Un jour même qu’elle se promenait dans le jardin avec quelques-unes de nos compagnes, et que je vins à passer avec une religieuse, elle laissa tomber négligemment un regard sur moi, et je l’entendis qui disait, mais d’un ton de princesse : Oui, elle est assez