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plaisir de vous voir abuser de la coutume qu’elle a de vous obliger, en vérité, une âme de ce caractère a bien de la dignité.

Peut-être l’élévation de pareils sentiments est-elle trop délicieuse ; peut-être Dieu défend-il qu’on s’y complaise ; mais moralement parlant, elle est bien respectable aux yeux des hommes. Venons au reste.

La plupart des gens d’esprit ne peuvent s’accommoder de ceux qui n’en ont point ou qui n’en ont guère, ils ne savent que leur dire dans une conversation ; et Mme Dorsin, qui avait bien plus d’esprit que ceux qui en ont beaucoup, ne s’avisait point d’observer si vous en manquiez avec elle, et n’en désirait jamais plus que vous n’en aviez ; et c’est qu’en effet elle n’en avait elle-même alors pas plus qu’il vous en fallait.

Non pas qu’elle vous fît la grâce de régler son esprit sur le vôtre : il se trouvait d’abord tout réglé, et elle n’avait point d’autre mérite à cela que celui d’être née avec un esprit naturellement raisonnable et philosophe, qui ne s’amusait pas à dédaigner ridiculement l’esprit de personne, et qui ne sentait rapidement le vôtre que pour s’y conformer sans s’en apercevoir.

Mme Dorsin ne faisait pas réflexion qu’elle descendait jusqu’à vous ; vous ne vous en doutiez pas non plus ; vous lui trouviez pourtant beaucoup d’esprit, et c’est que celui qu’elle gardait avec vous ne servait qu’à vous en donner plus que vous n’en aviez d’ordinaire, et l’on en trouve toujours beaucoup à qui nous en donne.