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D’où vient que les hommes ont cette injuste délicatesse dont nous parlions tout à l’heure ? N’aurait-elle pas sa source dans la grandeur réelle de notre âme ? Est-ce que l’âme, si on peut le dire ainsi, serait d’une trop haute condition pour devoir quelque chose à une autre âme ? Le titre de bienfaiteur ne sied-il bien qu’à Dieu seul ? Est-il déplacé partout ailleurs ?

Il y a apparence, mais qu’y faire ? Nous avons tous besoin les uns des autres ; nous naissons dans cette dépendance, et nous ne changerons rien à cela.

Conformons-nous donc à l’état où nous sommes ; et s’il est vrai que nous soyons si grands, tirons de cet état le parti le plus digne de nous.

Vous dites que celui qui vous oblige a de l’avantage sur vous. Eh bien ! voulez-vous lui conserver cet avantage, n’être qu’un atome auprès de lui, vous n’avez qu’à être ingrat. Voulez-vous redevenir son égal, vous n’avez qu’à être reconnaissant ; il n’y a que cela qui puisse vous donner votre revanche. S’enorgueillit-il du service qu’il vous a rendu, humiliez-le à son tour, et mettez-vous modestement au-dessus de lui par votre reconnaissance. Je dis modestement ;