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de peur que cette différence ne nuise à l’idée que je veux vous donner de cette dame, vous me permettrez de commencer par une petite réflexion.

Vous vous souvenez que dans Mme de Miran, je vous ai peint une femme d’un esprit ordinaire, de ces esprits qu’on ne loue ni qu’on ne méprise, et qui ont une raisonnable médiocrité de bon sens et de lumière ; au lieu que je vais parler d’une femme qui avait toute la finesse d’esprit possible. Ne perdez point cela de vue. Voici à présent ma réflexion.

Supposons la plus généreuse et la meilleure personne du monde, et avec cela la plus spirituelle, et de l’esprit le plus délié. Je soutiens que cette bonne personne ne paraîtra jamais si bonne, (car il faut que je répète les mots) que le paraîtra une autre personne qui, avec ce même degré de bonté, n’aura qu’un esprit médiocre.

Quand je dis qu’elle paraîtra moins bonne, pourvu encore qu’on lui accorde de la bonté, qu’on n’attribue pas à son esprit ce qui ne paraîtra que dans son cœur, qu’on ne dise pas que cette bonté n’est qu’un tour d’adresse de son esprit. Et voulez-vous savoir la cause de cette injustice qu’on lui fera, de la croire moins bonne ? La voici en partie, si je ne me trompe.

C’est que la plupart des hommes, quand on les oblige, voudraient qu’on ne sentit presque pas, et le prix du service qu’on leur rend, et l’étendue de l’obligation qu’ils en ont ; ils voudraient qu’on fût bon sans être éclairé ; cela conviendrait mieux à leur ingrate délicatesse, et c’est ce qu’ils ne trouvent pas