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peut même paraître lui dire avec regret, en fera un homme bien convaincu qu’il l’aimerait en vain, qu’elle n’est pas en état de l’aimer, et par là lui calmera le cœur et le consolera de la nécessité où il s’est mis d’épouser la jeune personne qu’on lui destine ; de sorte qu’alors ce sera lui qui se mariera, et non pas vous qui le marierez. Voilà ce qui m’en semble.

C’est fort bien dit, reprit Mme de Miran, et votre idée est très bonne : j’y ajouterai seulement une chose.

Ne serait-il pas à propos, pour achever de lui ôter toute espérance, que ma fille feignît de vouloir être religieuse, et ajoutât même qu’à cause de sa situation elle n’a point d’autre parti à prendre ? Ce que je dis là ne signifie rien au moins, Marianne, me dit-elle en s’interrompant. Ne croyez pas que ce soit pour vous insinuer de quitter le monde : j’en suis si éloignée, qu’il faudrait que je vous visse la vocation la plus marquée et la plus invincible pour y consentir ; tant j’aurais peur que ce ne fût simplement que votre peu de fortune, ou l’inquiétude de l’avenir, ou la crainte de m’être à charge, qui vous y engageât ; entendez-vous, ma fille ? Ainsi, ne vous y trompez pas. Je n’envisage ici que mon fils : je ne prétends que vous indiquer le moyen de l’amener à mes fins, et de l’aider à surmonter un amour que vous ne méritez que trop qu’il ait pour vous, qu’il serait trop heureux d’avoir pris, et dont je serais charmée moi-même, sans les usages et les maximes du monde, qui, dans l’infortune où vous êtes, ne me permettent pas