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s’engagea. Y a-t-il rien dans la physionomie de mademoiselle qui pronostique les infortunes qu’elle a essuyées ? dit Mme Dorsin (c’était le nom de la dame en question). Mais il faut tôt au tard que chacun ait ses malheurs dans ce monde ; et voilà les siens passés, j’en suis sûre.

Je le crois aussi, madame, répondis-je modestement. Puisque j’ai rencontré madame, et qu’elle a la bonté de s’intéresser à moi, c’est un grand signe que mon bonheur commence. C’était de Mme de Miran dont je parlais, comme vous le voyez, et qui, avançant sa main à la grille pour me prendre la mienne, dont je ne pus lui passer que trois ou quatre doigts, me dit : Oui, Marianne, je vous aime, et vous le méritez bien ; soyez désormais sans inquiétude ; ce que j’ai fait pour vous n’est encore rien, n’en parlons point. Je vous ai appelée ma fille ; imaginez-vous que vous l’êtes, et que je vous aimerai autant que si vous l’étiez.

Cette réponse m’attendrit, mes yeux se mouillèrent : je tâchai de lui baiser la main, dont elle ne put à son tour m’abandonner que quelques doigts.

L’aimable enfant ! s’écria là-dessus Mme Dorsin ; savez-vous que je suis un peu jalouse de vous, madame, et qu’elle vous aime de si bonne grâce que je prétends en être aimée aussi, moi ? Faites comme il vous plaira, vous êtes sa mère ; et je veux du moins être son amie : n’y consentez-vous pas, mademoiselle ?

Moi, madame, repartis-je, le respect m’empêche