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un objet de curiosité ; on s’imaginait remarquer dans mes traits quelque chose qui sentait mon aventure, on se prenait pour moi d’un goût romanesque. J’étais jolie, j’avais l’air fin ; vous ne sauriez croire combien tout cela me servait, combien cela rendait noble et délicat l’attendrissement qu’on sentait pour moi. On n’aurait pas caressé une petite princesse infortunée d’une façon plus digne ; c’était presque du respect que la compassion que j’inspirais.

Les dames surtout s’intéressaient pour moi au-delà de ce que je puis vous dire ; c’était à qui d’entre elles me ferait le présent le plus joli, me donnerait l’habit le plus galant.

Le curé, qui, quoique curé de village, avait beaucoup d’esprit, et était un homme de très bonne famille, disait souvent depuis que, dans tout ce que ces dames avaient alors fait pour moi, il ne leur avait jamais entendu prononcer le mot de charité ; c’est que c’était un mot trop dur, et qui blessait la mignardise des sentiments qu’elles avaient.

Aussi, quand elles parlaient de moi, elles ne disaient