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dame, qui servent toujours, quelque parti qu’on prenne ; si vous êtes religieuse ils vous distingueront dans votre maison, si vous êtes du monde, ce sont des grâces de plus, et des grâces innocentes.

Elle me venait voir tous les deux ou trois jours, et il y avait déjà trois semaines que je vivais là dans une situation d’esprit très difficile à dire ; car je tâchais plus d’être tranquille que je ne l’étais, et ne voulais point prendre garde à ce qui m’empêchait de l’être, et qui n’était qu’une folie secrète qui me suivant partout.

Valville savait sans doute où je demeurais ; je n’entendais pourtant point parler de lui, et mon cœur n’y comprenait rien. Quand Valville aurait trouvé le moyen de me donner de ses nouvelles, il n’y aurait rien gagné : j’avais renoncé à lui ; mais je n’entendais pas qu’il renonçât à moi. Quelle bizarrerie de sentiment !

Un jour que je rêvais à cela, malgré que j’en eusse (et c’était l’après-midi), on vint me dire qu’un laquais demandait à me parler ; je crus qu’il venait de la part de ma bienfaitrice, et je passai au parloir. À peine considérai-je ce prétendu domestique, qui ne se montrait que de côté, et qui d’une main tremblante me présenta une lettre. De quelle part ? lui dis-je. Voyez, mademoiselle, me répondit-il d’un ton de voix ému, et que mon cœur reconnut avant moi, puisque j’en fus émue moi-même.

Je le regardai alors en prenant sa lettre, je lui trouvai les yeux sur moi ; quels yeux, madame ! les miens se fixèrent sur lui ; nous restâmes quelque temps sans