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un peu de noblesse de cœur se connaissent en égards de cette espèce, et remarquent bien ce qu’on fait pour eux.

Je me jetai avec transport, quoique avec respect, sur la main de cette dame, que je baisai longtemps, et que je mouillai des plus tendres et des plus délicieuses larmes que j’aie versé de ma vie. C’est que notre âme est haute, et que tout ce qui a un air de respect pour sa dignité la pénètre et l’enchante ; aussi notre orgueil ne fut-il jamais ingrat.

Madame, lui dis-je, consentez-vous que j’écrive deux mots à Mme Dutour par la tourière ? vous verrez mon billet ; et je songe que, dans les circonstances où je suis, et qu’elle n’ignore pas, elle pourrait craindre de la surprise, et ne pas s’expliquer librement. Oui-da, mademoiselle, me répondit-elle, vous avez raison, écrivez. Ma mère, voulez-vous bien nous donner une plume et de l’encre ? Avec plaisir, dit la prieure toute radoucie, et qui nous passa ce qu’il fallait pour le billet. Il fut court, et voici à peu près :

« La personne qui vous rendra cette lettre, madame, ne va chez vous que pour s’informer de moi ; vous aurez la bonté de lui dire naïvement et dans la pure vérité ce que vous en savez, tant pour ce qui concerne mes mœurs et mon caractère, que pour ce qui a rapport à mon histoire, et à la manière dont on m’a mise chez vous. Je ne vous saurais aucun gré de tromper les gens en ma faveur : ainsi ne faites point difficulté de parler suivant votre conscience, sans vous soucier de ce qui me sera avantageux