Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/185

Cette page n’a pas encore été corrigée

baissés, pendant que de mon côté je baissais la tête. Et il allait se retirer quand le religieux, l’arrêtant par le bras : Non, mon cher monsieur, non, lui dit-il, ne vous en allez pas, je vous conjure, écoutez-moi. Oui, vos dispositions sont très louables, très édifiantes ; vous lui pardonnez, vous lui souhaitez du bien, voilà qui est à merveille ; mais remarquez que vous ne vous proposez plus de lui en faire, que vous l’abandonnez malgré le besoin qu’elle a de votre secours, malgré son offense qui rendrait ce secours si méritoire, malgré cette charité que vous croyez encore sentir pour elle, et que vous vous dispensez pourtant d’exercer : prenez-y garde, craignez qu’elle ne soit éteinte. Vous remerciez Dieu, dites-vous, de la petite mortification qu’il vous a envoyée ; eh bien ! voulez-vous la mériter, cette mortification qui est en effet une faveur ? voulez-vous en être vraiment digne ? redoublez vos soins pour cette pauvre enfant orpheline qui reconnaîtra sa faute, qui d’ailleurs est jeune, sans expérience, à qui on aura peut-être dit qu’elle avait quelques agréments, et qui, par vanité, par timidité, par vertu même, aura pu se tromper à votre égard. N’est-il pas vrai, ma fille ? Ne sentez-vous pas le tort que vous avez eu avec monsieur, à qui vous devez tant, et qui, bien loin de vous regarder autrement que selon Dieu, n’a voulu, par les saintes affections qu’il vous a témoignées, par ses douces et pieuses invitations, que vous engager vous-même à fuir ce qui pouvait vous égarer ? Dieu soit béni mille fois de vous