Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/154

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à moi, vous n’aviez point d’asile, et c’est cette réflexion-là qui me console quelquefois des sentiments que j’ai pour vous ; je me les reproche moins parce qu’ils m’étaient nécessaires, et que d’ailleurs ils m’humilient. C’est un petit mal qui fait un grand bien, un bien infini : vous n’imaginez pas jusqu’où il va. Je ne vous ai parlé que de cette indigence où vous resteriez au premier jour, si vous écoutiez mon neveu, lui ou tout autre, et ne vous ai rien dit de l’opprobre qui la suivrait, et que voici : c’est que la plupart des hommes, et surtout des jeunes gens, ne ménagent pas une fille comme vous quand ils la quittent ; c’est qu’ils se vantent d’avoir réussi auprès d’elle ; c’est qu’ils sont indiscrets, impudents et moqueurs sur son compte ; c’est qu’ils l’indiquent, qu’ils la montrent, qu’ils disent aux autres : la voilà. Oh ! jugez quelle aventure ce serait là pour vous, qui êtes la plus aimable personne de votre sexe, et qui par conséquent seriez aussi la plus déshonorée. Car, dans un pareil cas, c’est ce qu’il y a de plus beau qui est le plus méprisé, parce que c’est ce qu’on est le plus fâché de trouver méprisable. Non pas qu’on exige qu’une belle fille n’ait point d’amants ; au contraire, n’en eût-elle point, on lui en soupçonne, et il lui sied mieux d’en avoir qu’à une autre, pourvu que rien n’éclate, et qu’on puisse toujours penser, en la voyant, que c’est un grand bonheur que d’être bien venu d’elle. Or, ce n’en est plus un quand elle est décriée, et vous ne risquez rien de tout cela avec moi. Vous sentez bien, du caractère