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Il me faudrait un chapitre exprès, si je voulais rapporter l’entretien que nous eûmes en mangeant.

je ne disais mot et je boudais ; Mme Dutour, comme je crois l’avoir déjà dit, était une bonne femme dans le fond, se fâchant souvent au-delà de ce qu’elle était fâchée ; c’est-à-dire que de toute la colère qu’elle montrait dans l’occasion, il y en avait bien la moitié dont elle aurait pu se passer, et qui n’était là que pour représenter. C’est qu’elle s’imaginait que plus on se fâchait, plus on faisait figure ; et d’ailleurs elle s’animait elle-même du bruit de sa voix : son ton, quand il était brusque, engageait son esprit à l’être aussi. Et c’était de tout cela ensemble que me vint cette enfilade de duretés que j’essuyai de sa part ; et ce que je dis là d’elle n’annonce pas des mouvements de mauvaise humeur bien opiniâtres ni bien sérieux : ce sont des bêtises ou des enfances dont il n’y a que de bonnes gens qui soient capables ; de bonnes gens de peu d’esprit, à la vérité, qui n’ont que de la faiblesse pour tout caractère ; ce qui leur donne une bonté habituelle, avec de petits défauts, de petites venus, qui ne sont que des copies de ce qu’ils ont vu faire aux autres.

Et telle était Mme Dutour, que je vous peins par hasard en passant. Ce fut donc par cette bonté habituelle qu’elle fut touchée de mon silence.

Peut-être aussi s’en inquiéta-t-elle à cause de la menace que je lui avais faite de sortir de chez elle, si elle me chagrinait davantage : ma pension était bonne à conserver.