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corrigea d’avance la médiocrité de mon état, qui disposa Valville à l’apprendre sans en être scandalisé ; car vous sentez bien que tout ceci ne saurait demeurer sans quelque petit éclaircissement. Mais n’en soyez point en peine, et laissez faire aux pleurs que je répands ; ils viennent d’ennoblir Marianne dans l’imagination de son amant ; ils font foi d’une fierté de cœur qui empêchera bien qu’il ne la dédaigne.

Et dans le fond, observons une chose. Etre jeune et belle, ignorer sa naissance, et ne l’ignorer que par un coup de malheur, rougir et soupirer en illustre infortunée de l’humiliation où cela vous laisse ; si j’avais affaire à l’amour, lui qui est tendre et galant, qui se plaît à honorer ce qu’il aime : voilà, pour lui paraître charmante et respectable, dans quelle situation et avec quel amas de circonstances je voudrais m’offrir à lui.

Il y a de certaines infortunes qui embellissent la beauté même, qui lui prêtent de la majesté. Vous avez alors, avec vos grâces, celles que votre histoire, faite comme un roman, vous donne encore. Et ne vous embarrassez pas d’ignorer ce que vous êtes née ; laissez travailler les chimères de l’amour là-dessus ; elles sauront bien vous faire un rang distingué, et tirer bon parti des ténèbres qui cacheront votre naissance. Si une femme pouvait être prise pour une divinité, ce serait en pareil cas que son amant l’en croirait une.

À la vérité, il ne faut pas s’attendre que cela dure ; ce sont là de ces grâces et de ces dignités d’emprunt qui s’en retournent